Livre 1

Extraits des statuts

Ch. 1 Prologue
Ch. 2 Éloge de la vie solitaire
Livre 1 : Les moines du cloître
Ch. 3 Les moines du cloître
Ch. 4 La garde de la cellule et du silence
Ch. 5 Les activités de cellule
Ch. 6 La garde de la clôture
Ch. 7 L’abstinence et le jeûne
Ch. 8 Le novice
Ch. 9 Le maître des novices
Ch. 10 La profession
Livre 2 : Les moines laïcs
Ch. 11 Les moines laïcs
Ch. 12 La solitude
Ch. 13 La clôture
Ch. 14 Le silence
Ch. 15 Le travail
Ch. 17 Le novice
Ch. 18 La profession
Ch. 19 La donation
Ch. 20 La formation des frères
Livre 3 : La communauté
Ch. 21 La célébration quotidienne de la liturgie
Ch. 22 La vie commune
Ch. 23 Le prieur
Ch. 26 Le procureur
Ch. 27 Les malades
Ch. 28 La pauvreté
Ch. 29 L’administration temporelle
Ch. 30 La stabilité
Livre 4 : L’Ordre
Ch. 31 Le gouvernement de l’Ordre
Ch. 32 La Visite canonique
Ch. 33 La conversion de vie
Ch. 34 Fonction de notre Ordre dans l’Église
Ch. 35 Les Statuts
Livre 5 : Rites et actes de la vie cartusienne
Ch. 36 Les rites de la vie cartusienne
Ch. 38 L’élection du prieur
Livre 6 : Les temps liturgiques
Ch. 41 La liturgie cartusienne
Ch. 52 Le chant liturgique
Ch. 53 Les cérémonies de la communauté à l’Office
Ch. 54 Les cérémonies de l’Office en cellule
Livre 9 : Sacrements et suffrages
Ch. 62 Les sacrements
Ch. 65 Les suffrages

Livre 1 : Les moines du cloître

Chapitre 3


Les moines du cloître«»

  1. Nos pères dans la vie cartusienne ont suivi une lumière venue de l’Orient, celle de ces anciens moines, voués à la solitude et à la pauvreté de l’esprit, qui peuplèrent les déserts à une époque où le souvenir tout proche du sang répandu par le Seigneur était encore brûlant dans les cœurs. Et puisque les moines du cloître s’engagent sur le même chemin, ils doivent, à l’exemple de ces premiers pères, demeurer dans un ermitage suffisamment éloigné des lieux habités, et des cellules où ne parviennent pas les bruits du monde, ni ceux de la maison ; par-dessus tout, ils doivent se rendre eux-mêmes étrangers aux rumeurs du siècle.
  2. Qui persévère sans défaillance dans la cellule et se laisse enseigner par elle tend à faire de toute son existence une seule prière continuelle. Mais il ne peut entrer dans ce repos sans passer par l’épreuve d’un rude combat : ce sont les austérités auxquelles il s’applique comme un familier de la Croix, ou les visites du Seigneur, venu l’éprouver comme l’or dans le feu. Ainsi, purifié par la patience, nourri et fortifié par la méditation assidue de l’Écriture, introduit par la grâce du Saint Esprit dans les profondeurs de son cœur, il pourra désormais, non seulement servir Dieu, mais adhérer à lui.
  3. Il convient de faire aussi quelque travail manuel, moins pour la détente passagère de l’esprit que pour soumettre le corps à la loi humaine commune, et conserver alerte le goût des activités spirituelles. On donne donc au moine en cellule les outils nécessaires, pour ne pas l’obliger à sortir. Car cela n’est jamais permis en dehors des réunions à l’église ou au cloître, et des autres occasions prévues par la règle. Mais la voie austère que nous avons embrassée nous oblige plus strictement à n’user que de choses pauvres. Il nous faut suivre l’exemple du Christ dans sa pauvreté, si nous voulons partager ses richesses.
  4. L’amour du Seigneur, la prière, la ferveur pour la solitude créent entre les moines du cloître un lien intime. Ils se montreront vrais disciples du Christ, de fait comme de nom, s’ils s’appliquent, dans une affection réciproque, à avoir même sentiment, à s’accepter les uns les autres et à se pardonner toute offense : ainsi auront-ils un seul cœur et une seule voix pour louer Dieu.
  5. Les pères auront également conscience du lien qui, dans le Christ, les unit aux frères ; ils sauront reconnaître à quel point ils dépendent d’eux pour pouvoir offrir au Seigneur une prière pure dans le repos et la solitude de la cellule. Ils se rappelleront que le sacerdoce dont ils sont investis est un service de l’Église, et tout spécialement de ses membres les plus proches, c’est-à-dire les frères de la maison. Pères et frères se préviendront d’égards mutuels et vivront dans la charité, car en elle se noue toute perfection, et elle est le fondement et le sommet de toute vie consacrée à Dieu.
  6. Le devoir du prieur à l’égard de tous ses fils, moines du cloître et moines laïcs, est d’être un signe vivant de l’amour envers eux du Père céleste ; de les unir aussi dans le Christ, en sorte qu’ils forment une seule famille et que, selon le mot de Guigues, chacune de nos maisons soit vraiment une église cartusienne.
  7. Celle-ci s’enracine et trouve son assise dans la célébration du sacrifice eucharistique, signe efficace d’unité. Il est le centre et le sommet de notre vie, la manne de l’exode spirituel, qui, au désert, nous ramène vers le Père par le Christ. En toute la liturgie, c’est le Christ qui prie pour nous, comme notre Prêtre, et en nous, comme notre Chef. Ainsi nous reconnaissons en lui nos propres voix, et en nous la sienne.
  8. Durant la veille nocturne, notre Office, selon l’antique usage, s’étend assez longuement, mais sans dépasser les limites de la discrétion. Ainsi la psalmodie nourrit le recueillement intérieur, et nous pouvons à d’autres moments, sans que la fatigue nous accable, vaquer dans le secret à la prière du cœur.
    Selon une tradition ancienne chez nous tout moine du cloître, par une marque insigne de la bonté de Dieu, est député au ministère sacré de l’autel. En lui se manifeste ainsi l’harmonie qui existe entre la consécration sacerdotale et la consécration monastique, comme l’a attesté le Pape Paul VI ; à l’exemple du Christ, il devient à la fois prêtre et hostie, pour une offrande agréable à Dieu ; et la communion au sacrifice du Seigneur lui ouvre l’accès de son Cœur et de ses insondables richesses.
  9. Intégralement ordonné à la contemplation, notre Ordre doit préserver avec une fidélité extrême sa séparation du monde. Aussi, quelle que soit l’urgence des tâches apostoliques, sommes-nous exemptés de tout ministère pastoral, afin de remplir notre fonction propre dans le Corps mystique du Christ.
    À Marthe d’exercer un ministère digne d’éloge il est vrai, mais non dépourvu de soucis et de troubles ; qu’elle laisse seulement sa sœur assise aux pieds du Christ, où toute libre et disponible, elle voit qu’il est Dieu. Elle purifie son esprit, recueille sa prière en son cœur, écoute le Seigneur lui parler au dedans ; ainsi, selon la faible mesure possible à qui contemple par reflet et en énigme, elle goûte et voit combien il est bon ; en même temps elle prie pour Marthe et pour tous ceux qui travaillent comme elle. Marie a pour elle non seulement le plus impartial des juges, mais aussi le plus fidèle des avocats, le Seigneur lui-même, qui ne se borne pas à défendre sa vocation, mais en fait l’éloge en disant : Marie a choisi la meilleure part, qui ne lui sera pas enlevée : il la dispense ainsi de se mêler aux soucis de Marthe et à son affairement, si charitables soient-ils

Chapitre 4


La garde de la cellule et du silence«»

  1. Notre application principale et notre vocation sont de vaquer au silence et à la solitude de la cellule. Elle est la terre sainte, le lieu où Dieu et son serviteur entretiennent de fréquents colloques, comme il se fait entre amis. Là, souvent l’âme fidèle s’unit au Verbe de Dieu, l’épouse à l’Époux, la terre au ciel, l’humain au divin. Mais longue est la route, arides et desséchés sont les chemins qu’il faut suivre jusqu’à la source, au pays de la promesse.
  2. L’habitant de la cellule doit donc veiller avec le plus grand soin à ne pas forger ou accepter des occasions de sortir, hormis celles que prévoit la règle : il estimera plutôt la cellule aussi indispensable à son salut et à sa vie que l’eau aux poissons et le bercail aux brebis. S’il s’accoutume à la quitter fréquemment, pour des motifs frivoles, elle lui deviendra vite insupportable, car, dit saint Augustin, aux amis du monde il n’est pire labeur que de demeurer sans labeur. Au contraire, plus il aura séjourné en cellule, plus il y demeurera volontiers, à condition de s’y occuper avec ordre et avec fruit, par la lecture, l’écriture, la psalmodie, la prière, la méditation, la contemplation et le travail. Durant ce temps, qu’il prenne l’habitude d’une écoute tranquille du cœur, qui permette à Dieu d’y pénétrer par tous les chemins et tous les accès. Il évitera ainsi, Dieu aidant, le danger qui souvent guette le solitaire, de céder en cellule à la facilité, et d’être finalement compté au nombre des médiocres.
  3. Seul connaît les fruits du silence celui qui en a fait l’expérience. Au commencement il faut un effort pour se taire ; mais si nous y sommes fidèles, peu à peu, de notre silence même naît quelque chose en nous qui nous attire à plus de silence. C’est pour y parvenir qu’il est prescrit de ne point parler entre nous sans permission du supérieur.
  4. Le premier acte de charité envers nos frères est de respecter leur solitude. Si nous sommes autorisés à parler pour quelque affaire, soyons brefs, autant que possible.
  1. Les personnes qui n’appartiennent pas à l’Ordre et n’aspirent pas à y entrer ne peuvent être hébergées dans nos cellules.
  2. Tous les ans, pendant huit jours, chaque moine du cloître se consacre plus totalement à la paix de la cellule et au recueillement. Selon la coutume, l’anniversaire de profession est l’occasion favorable pour faire cette retraite.
  3. Dieu nous a menés au désert pour parler à notre cœur. Que notre cœur soit donc comme un vivant autel d’où s’élève sans cesse vers le Seigneur une prière pure ; et que celle-ci imprègne toutes nos actions.

Chapitre 5


Les activités de cellule«»

Le moine du cloître, dans la ligne propre de sa vocation, est soumis à la loi divine du travail, et il fuit l’oisiveté que les anciens appelaient l’ennemie de l’âme. Avec une joyeuse humilité il accepte toutes les tâches imposées par les nécessités d’une vie pauvre et solitaire, veillant néanmoins à tout ordonner au service de la contemplation de Dieu, à laquelle il est entièrement consacré. Outre les divers travaux manuels, l’ensemble des obligations qui résultent de son état constituent la matière de son service, principalement la célébration du culte divin et les études sacrées.

D’abord, pour éviter de gaspiller en cellule sa vie dédiée à Dieu, il doit s’appliquer avec ardeur et discrétion à des études qui lui conviennent : non pour satisfaire la démangeaison d’apprendre ni celle de publier des livres, mais parce que la lecture sagement ordonnée donne à l’âme plus de force et fournit un support à la contemplation. C’est une erreur de croire que l’on peut négliger l’étude de la Parole divine, ou plus tard l’abandonner, et malgré cela atteindre aisément l’union intime avec Dieu. Cherchant donc la moelle du sens plutôt que l’écume des mots, scrutons les divins mystères avec la soif de connaître qui naît de l’amour et l’avive en retour.

Par le travail manuel, le moine s’exerce à l’humilité et réduit tout son corps en servitude pour mieux atteindre la stabilité intérieure. Aux moments prévus, il peut s’employer à des travaux manuels, qui soient vraiment utiles : il ne convient pas de perdre en occupations vaines ou superflues le temps précieux qui lui est donné pour glorifier Dieu. Mais de cette période de la journée n’est nullement exclu le profit de la lecture et de la prière ; au contraire durant le travail, il est toujours conseillé de recourir au moins à de brefs élans vers Dieu. Parfois même, le poids du travail, tel une ancre, tient en repos le flux des pensées et permet au cœur de demeurer longuement fixé en Dieu, sans aucune tension d’esprit.

Le travail est un service qui nous unit au Christ venu non pour être servi mais pour servir. On doit louer ceux qui prennent soin eux-mêmes du mobilier, des outils et des autres objets de cellule, de manière à épargner le plus de travail possible aux frères. Mais tous ont le devoir de tenir leur cellule propre et en ordre.

En tout temps le prieur peut ordonner à un père un travail ou service utile au bien commun : celui-ci l’accepte volontiers, dans la joie de la charité, car au jour de sa profession il a demandé à être reçu comme le plus humble serviteur de tous. Mais un travail confié à un moine du cloître doit toujours lui laisser une liberté d’esprit suffisante, et ne pas faire naître le souci du gain ou du délai à observer. Au solitaire, plus attentif à maintenir son regard sur le but que sur l’œuvre, il faut donner le moyen de conserver toujours son cœur en éveil. En outre, pour que le moine puisse demeurer en solitude dans la paix et l’équilibre, il sera souvent opportun de lui laisser une certaine liberté dans l’organisation de son travail.

Normalement les pères ne sont pas appelés à travailler hors de cellule, surtout dans les obédiences des frères. S’il arrive pourtant que plusieurs pères soient occupés ensemble, ils peuvent parler entre eux de choses utiles à leur travail, mais non s’entretenir avec les personnes qui surviennent.

Laissons notre activité jaillir toujours de la source intérieure, à l’image du Christ, qui agit sans cesse en union avec le Père, en sorte que le Père, demeurant en lui, est l’auteur même de ses œuvres. Nous accompagnerons ainsi Jésus en sa vie humble et cachée de Nazareth, soit par notre prière adressée au Père dans le secret, soit par notre travail, accompli dans l’obéissance sous le regard du Père.

Chapitre 6


La garde de la clôture«»

Dès l’origine l’intention de l’Ordre fut de donner à notre absolue consécration à Dieu une expression visible et un soutien par une clôture très rigoureuse. À quel point nous devons éviter de sortir sans nécessité grave apparaît clairement dans le fait que le prieur de Chartreuse ne franchit jamais les limites de son désert. Comme un Ordre religieux impose à tous ses profès la même règle de vie, nous qui avons embrassé la vocation cartusienne, – d’où notre nom de chartreux –, nous n’admettons pas facilement d’exceptions sur ce point. Si cependant la nécessité nous y oblige, il faut toujours demander la permission du Révérend Père, sauf cas urgent ou prévu par les Statuts.

Cependant une clôture rigoureuse serait une observance pharisaïque si elle n’était le signe de cette pureté du cœur à qui seule est promise la vision de Dieu. Pour y parvenir il faut un grand renoncement, surtout à l’égard de la curiosité naturelle que l’homme éprouve pour les affaires humaines. Ne laissons pas notre esprit courir le monde en quête de nouvelles et de nouveautés : notre part est au contraire de rester cachés dans le secret de la face de Dieu.

Nous devons donc éviter les livres profanes ou les périodiques capables de troubler notre silence intérieur. Il serait spécialement contraire à l’esprit de l’Ordre de laisser pénétrer dans nos cloîtres des journaux qui parlent d’affaires politiques. Les prieurs s’efforceront même de persuader leurs moines de se montrer très réservés à l’égard des lectures profanes. Mais une telle invitation pour être comprise requiert un esprit mûr et maître de soi, capable d’assumer loyalement toutes les conséquences de la meilleure part qu’il a choisie : être assis aux pieds du Seigneur pour écouter sa parole.

Pourtant la fréquentation de Dieu ne rétrécit pas le cœur mais le dilate ; elle le rend capable de porter en Dieu lui-même les aspirations et les problèmes du monde, ainsi que les grandes intentions de l’Église, dont il est normal que les moines aient une certaine connaissance. Cependant notre sollicitude envers les hommes, si elle est vraie, s’exprimera non par des satisfactions accordées à la curiosité, mais par une communion intime avec le Christ. À chacun d’être à l’écoute de l’Esprit pour discerner ce qu’il peut admettre en son intérieur sans troubler le colloque avec Dieu.

S’il nous arrive d’apprendre quelque nouvelle du monde, gardons-nous de la transmettre ; laissons plutôt ces bruits extérieurs à l’endroit même où nous les avons entendus. C’est au prieur en effet de faire connaître à ses moines ce qu’ils ne doivent point ignorer : la vie de l’Église surtout, et ses besoins.

Si des personnes de l’Ordre, ou d’ailleurs, passent dans la maison, nous ne devons pas chercher à leur parler sans vraie nécessité. Car le moine sérieusement attaché à la solitude, avide de silence et de paix, ne gagne rien à faire ou à recevoir des visites sans motif.

Il est écrit : Honore ton père et ta mère. Pour accueillir nos parents et nos proches nous modérons la rigueur de notre clôture chaque année pendant deux jours, consécutifs ou non. Autrement, si la charité du Christ ne nous oblige pas vraiment à une exception, nous évitons les visites d’amis et la conversation des personnes du monde. Nous savons que Dieu est digne de ce sacrifice, plus utile aux hommes que nos paroles.

Les maisons de l’Ordre érigées canoniquement sont soumises à une clôture stricte conforme à notre tradition. Aucune femme ne peut être admise dans la clôture. Lorsque nous parlons avec des femmes, nous gardons la réserve qui convient à des moines.

La chasteté pour le royaume des cieux, dont les moines ont pris l’engagement, est un don éminent de la grâce ; il leur confère une liberté de cœur incomparable pour s’unir à Dieu d’un amour sans partage. Ils annoncent ainsi ces noces mystérieuses, instituées par Dieu pour être pleinement manifestées au siècle futur, dans lesquelles l’Église a le Christ pour unique Époux. Il leur faut donc, s’ils veulent demeurer fidèles à leur engagement, croire aux paroles du Seigneur et, confiants en l’aide de Dieu, ne point présumer de leurs propres forces, garder leurs sens et les mortifier. Ils auront également recours à Marie qui par son humilité et sa virginité mérita de devenir Mère de Dieu.

Ce que la solitude et le silence du désert apportent d’utilité et de joie divine à qui les aime, ceux-là seuls le savent, qui en ont fait l’expérience.

Ici, en effet, les hommes forts peuvent autant qu’ils le veulent rentrer en eux-mêmes et y demeurer, cultiver avec soin les germes des vertus et se nourrir avec délices de fruits du paradis.

Ici, on s’efforce d’acquérir cet œil dont le clair regard blesse l’Époux d’un amour pur et transparent qui voit Dieu.

Ici, on s’adonne à un loisir sans oisiveté et on s’immobilise en une tranquille activité.

Ici, pour le labeur du combat, Dieu donne à ses lutteurs la récompense désirée : une paix que le monde ignore et la joie dans l’Esprit Saint.

Chapitre 7


L’abstinence et le jeûne«»

Le Christ a souffert pour nous, nous laissant un exemple pour que nous suivions ses pas. Nous le faisons lorsque nous acceptons les épreuves et les angoisses de la vie, ou lorsque dans la liberté des enfants de Dieu, nous choisissons la pauvreté et renonçons à notre volonté propre. Mais, selon la tradition monastique, il nous appartient aussi de suivre le Christ dans son jeûne au désert, traitant sévèrement le corps et le réduisant en servitude, afin que le désir de Dieu illumine l’esprit.

Chaque semaine, normalement le vendredi, les moines du cloître font une abstinence ; ce jour-là ils se contentent de pain et d’eau. Certains jours et à certaines périodes de l’année, ils observent le jeûne d’Ordre, c’est-à-dire ils prennent un seul repas par jour.

Il ne faudrait pas que nous observions la pénitence corporelle dans le seul but d’obéir aux Statuts ; elle est principalement destinée à nous affranchir du vouloir de la chair pour pouvoir suivre le Seigneur plus promptement.

Si en quelque circonstance, ou bien avec le temps, un moine se rend compte que l’une de nos observances dépasse ses forces et retarde son élan vers le Christ au lieu de le soutenir, il déterminera alors par entente filiale avec son prieur la mesure qui lui convient, du moins à titre temporaire. Mais il gardera présent l’appel du Christ ; il saura reconnaître ce qu’il peut encore faire ; et, ce qu’il ne peut donner au Seigneur par l’observance commune, il le lui offrira d’une autre manière, en se renonçant lui-même et en portant sa croix chaque jour.

Il faut donc habituer progressivement les novices aux abstinences et jeûnes de l’Ordre pour les amener sans risque ni imprudence à suivre l’observance dans toute sa rigueur, sous le contrôle du père maître. Celui-ci leur enseignera en particulier à ne pas prendre prétexte de nos jeûnes pour manquer à la sobriété au moment du repas. Ainsi apprendront-ils à mortifier par l’esprit les œuvres de la chair, et à porter dans leur corps l’empreinte de la mort de Jésus, pour que la vie de Jésus, elle aussi, apparaisse dans leur corps.

Selon une observance introduite par nos premiers pères et toujours gardée avec un soin particulier, nous avons renoncé à l’usage de la viande. C’est en effet un trait caractéristique de l’Ordre et un signe de l’austérité érémitique en laquelle, Dieu aidant, nous voulons demeurer.

Nul ne peut, à l’insu du prieur et sans son approbation, se permettre des pratiques de pénitence autres que celles contenues dans ces Statuts. Mais si le prieur veut nous faire accepter un supplément de nourriture, de sommeil ou de toute autre chose, ou bien s’il nous impose une mesure dure et pénible, il ne nous est pas permis de refuser ; car en lui résistant, ce n’est pas à lui mais au Seigneur dont il tient la place auprès de nous, que nous résisterions en réalité. Si nombreuses et variées en effet que soient nos observances, nous n’attendons d’elles aucun profit hors du bien de l’obéissance.

Chapitre 8


Le novice«»

Ceux qui brûlant d’amour divin, en quête d’éternel, aspirent à quitter le monde, doivent à leur arrivée chez nous se sentir accueillis par le même esprit. Il est donc très important que les novices trouvent dans les maisons destinées à leur formation l’exemple de l’observance régulière, de la piété, de la garde de la cellule et du silence, comme aussi de la charité fraternelle. Faute de quoi, il serait vain d’espérer les voir persévérer dans notre vocation.

Les candidats qui se présentent doivent être examinés avec soin et prudence, selon l’avertissement de saint Jean : Éprouvez les esprits pour voir s’ils viennent de Dieu. Il est certain en effet que l’Ordre progressera ou déclinera, en qualité comme en nombre, selon que les novices seront bien ou mal sélectionnés et formés.

Les prieurs doivent s’informer soigneusement de leur famille, leur vie passée, leurs aptitudes physiques et psychiques ; il sera bon de consulter à ce propos des médecins prudents, connaissant bien notre vocation. Parmi les qualités requises d’un candidat à la vie solitaire, l’équilibre et le jugement viennent en effet au premier rang.

Nous n’avons pas coutume de recevoir des novices avant l’âge de vingt ans ; et seuls parmi les candidats doivent être reçus ceux que le prieur et la majorité de la communauté auront estimés suffisamment instruits, religieux, mûrs et robustes pour soutenir le poids de l’observance ; aptes, certes, à la solitude, mais aussi à la vie commune.

Pour l’admission de personnes déjà âgées une plus grande réserve s’impose, car elles s’adaptent plus difficilement à nos observances et à notre genre de vie. Nul ne devra être reçu après quarante-cinq ans révolus sans l’autorisation expresse du Chapitre Général ou du Révérend Père. Cette permission est également requise pour admettre au noviciat un religieux qui est lié par les vœux dans un autre institut ; s’il s’agit d’un profès de vœux perpétuels, le Révérend Père doit obtenir le consentement du Conseil Général. Pour l’admission d’une personne ayant déjà été liée par les vœux dans un institut religieux, il est conseillé de demander l’avis du Révérend Père.

Lorsqu’un candidat se présente pour devenir moine du cloître, on l’interroge d’abord en particulier sur ses motifs et ses intentions. S’il paraît vraiment chercher Dieu seul, on examine alors plusieurs points qui doivent être éclaircis : possède-t-il une culture générale suffisante pour un moine destiné au sacerdoce ? Peut-il chanter ? Est-il exempt de tout empêchement canonique ? En outre, un postulant ne peut commencer son noviciat sans une connaissance suffisante du latin.

On expose alors au candidat le but de notre vie, la gloire que nous espérons rendre à Dieu en participant à la rédemption, le bonheur de tout quitter pour suivre le Christ. Mais on lui présente également des perspectives dures et austères ; on met sous son regard, autant qu’il est possible, tous les aspects de la vie qu’il désire embrasser. S’il n’est point ébranlé et s’engage résolument à suivre une route difficile par foi en la parole du Seigneur, décidé à mourir avec le Christ pour vivre avec Lui, alors, conformément à l’Évangile, on l’invite à se réconcilier avec quiconque aurait un reproche à lui faire.

La probation dure de trois mois à un an. Vers la fin de ce temps le postulant est présenté à la communauté, qui vote un autre jour sur son admission au noviciat.

Puisqu’il a décidé de tout quitter pour suivre le Christ, le novice, s’il avait avec lui de l’argent ou d’autres choses, remet tout au prieur. Celui-ci, ou le moine désigné par lui, les conservera fidèlement en dépôt. Pour nous, nous ne demandons absolument rien à ceux qui veulent entrer dans l’Ordre, ni aux novices.

Le noviciat dure deux ans ; il peut être prolongé par le prieur, mais pas plus de six mois.

Le novice ne se laissera pas écraser par les tentations : elles sont la part de qui accompagne le Christ au désert ; il se défiera de ses propres forces, mais mettra sa confiance dans le Seigneur ; c’est lui qui a fait naître sa vocation, il mènera à bien l’œuvre commencée.

Chapitre 9


Le maître des novices«»

Le maître à qui est confiée la formation des novices doit se distinguer par son jugement, sa charité, sa ferveur dans l’observance ; il doit posséder la maturité nécessaire et l’expérience des choses de l’Ordre ; il faut qu’il soit un adepte fervent du repos contemplatif et de la cellule, profondément épris de notre vocation ; enfin, il aura le sens de la diversité des caractères, et sera ouvert aux besoins des jeunes. D’autre part, tout en ayant intimement à cœur la perfection spirituelle des jeunes moines, il devra savoir excuser devant eux les défauts des autres.

Le père maître sélectionnera les novices avec un soin vigilant ; il fera passer la qualité avant le nombre. Pour devenir vraiment chartreux, et ne l’être pas seulement de nom, le vouloir ne suffit pas ; il faut, outre l’amour de la solitude et de notre vie, des aptitudes physiques et psychiques particulières, grâce auxquelles on puisse reconnaître l’appel divin. Le père maître y sera très attentif, car il est le premier responsable de l’examen et de la probation des candidats. Assez souvent, il doit s’en souvenir, des défauts qui ont semblé d’abord minimes se développent après la profession. Refuser ou renvoyer quelqu’un est certes une décision grave, à prendre après mûre réflexion ; mais recevoir ou garder trop longtemps un candidat manifestement dépourvu des qualités requises serait l’acte d’une compassion fausse et même cruelle. Le maître mettra tout en œuvre pour que le novice choisisse sa voie en pleine liberté ; il se gardera d’exercer sur lui la moindre pression pour l’amener à faire profession.

Le père maître visitera le novice aux moments convenables, et lui enseignera les observances de l’Ordre qu’il ne doit pas ignorer. Il aura soin de lui faire étudier attentivement nos Statuts. Son rôle est en outre de former la conduite du novice, de le diriger dans les exercices de la vie spirituelle, et de lui donner, dans l’épreuve, une aide appropriée. Le maître cherchera à faire croître continuellement les membres du noviciat dans l’amour du Christ et de l’Église. Bien qu’il doive, à l’exemple de notre père saint Bruno, avoir un cœur maternel, il montrera aussi la vigueur d’un père afin que les novices reçoivent une formation virile et monastique. Il les laissera avant tout faire l’expérience de la vie de solitude en cellule, avec son austérité ; il leur enseignera aussi à s’aider spirituellement les uns les autres dans la simplicité et la vérité de l’amour.

Il est certes fort utile à un novice d’étudier et de travailler de ses mains ; mais il ne suffit pas d’être occupé en cellule et d’y persévérer honorablement jusqu’à la mort ; plus est demandé : un esprit d’oraison et de prière. Si la vie avec le Christ et l’union intime de l’âme avec Dieu venaient à faire défaut, la fidélité dans les cérémonies et la régularité de l’observance ne serviraient guère : notre vie mériterait d’être comparée à un corps sans âme. Le premier soin du père maître sera donc d’inculquer cet esprit de prière et de le développer avec discernement, en sorte que les novices, après leur profession, croissent de jour en jour dans l’intimité divine et atteignent le but de leur vocation.

Le père maître reviendra inlassablement aux sources de toute vie chrétienne, aux témoignages de la tradition monastique et à l’inspiration primitive de notre Ordre. Il mettra en lumière l’esprit de notre père saint Bruno ; il cultivera les traditions authentiques, fidèlement conservées dans l’Ordre depuis sa naissance, et que Guigues, notamment, a recueillies.

À partir de la seconde année de noviciat débutent les études, qui doivent être judicieusement ordonnées à la formation aussi bien monastique que sacerdotale des jeunes moines, selon les directives de la Ratio Studiorum. Mais les moines ne seront pas promus au sacerdoce avant d’avoir atteint la maturité humaine et spirituelle suffisante pour accueillir pleinement ce don de Dieu.

Chapitre 10


La profession«»

Mort au péché et consacré à Dieu par le baptême, le moine, par la profession, est voué plus totalement au Père céleste ; affranchi des liens du monde, il pourra désormais tendre à la plénitude de la charité par un chemin plus direct. Le pacte ferme et stable qui le lie au Seigneur lui donne part au mystère de l’union indissoluble du Christ et de l’Église ; devant le monde, il rend témoignage de la vie nouvelle que le Christ nous a acquise par son sacrifice rédempteur.

Vers la fin de la seconde année de noviciat, le novice, s’il paraît apte, sera présenté à la communauté ; celle-ci, après examen sérieux, portera quelques jours plus tard un jugement sur son admission à la profession temporaire. Il importe que le novice ne s’engage qu’après mûre réflexion et en pleine liberté.

La première profession est émise pour trois ans. Au terme de cette période, il revient au prieur, après un vote de la communauté, d’admettre le jeune profès à une probation de deux ans parmi les profès de vœux solennels. Alors le jeune moine renouvelle sa profession temporaire pour deux ans. Pendant l’une de ces deux années, la seconde en principe, il sera exempt d’études canoniques, afin de se préparer avec plus de réflexion aux vœux solennels.

Au disciple qui suit le Christ il est demandé de renoncer à tout et à soi-même : avant les vœux solennels, le futur profès doit donc se dépouiller de tous ses biens actuels. Il peut aussi disposer alors des biens futurs auxquels il a droit. Personne dans l’Ordre ne doit rien lui demander de ce qu’il a, pas même à l’intention d’œuvres pieuses ou d’aumônes destinées à qui que ce soit. Au contraire. il faut laisser le jeune profès disposer de tout librement et à son gré.

Le futur profès écrira lui-même sa profession sous la forme suivante. Moi, frère N., je promets … stabilité, obéissance et conversion de mes mœurs devant Dieu et ses saints, et les reliques de cet ermitage, édifié à la gloire de Dieu et à l’honneur de la bienheureuse Marie toujours Vierge et de saint Jean Baptiste, en présence de Dom N., prieur.

Après je promets, s’il s’agit de la première profession temporaire, on ajoute pour trois ans ; et quand cette profession est prorogée, on indique la durée de la prorogation ; s’il s’agit de la profession solennelle, on dit pour toujours.

Il est à noter que tous nos ermitages sont en premier lieu dédiés à la bienheureuse Vierge Marie et à saint Jean Baptiste, nos principaux patrons au ciel.

La cédule de toute profession doit être signée par le profès et le prieur qui a reçu les vœux, et porter l’indication du jour et de l’année. On la conserve dans les archives de la maison.

La profession faite, celui qui vient d’être reçu se sait désormais tellement étranger à toute chose du monde qu’il n’a plus pouvoir sur rien, pas même sur sa personne, sans la permission de son prieur. Tous ceux qui ont décidé de vivre sous une règle ont à garder l’obéissance avec grande application ; mais nous devons y mettre d’autant plus de piété et de soin que nous nous sommes soumis à un propos plus rigoureux et plus austère : si en effet, par malheur, l’obéissance venait à manquer, tous ces efforts demeureraient sans fruit. D’où la parole de Samuel : Mieux vaut l’obéissance que les victimes ; se soumettre a plus de prix qu’offrir la graisse des béliers.

À l’exemple du Christ Jésus, qui est venu pour faire la volonté du Père et qui, prenant la forme de serviteur, a appris, par ce qu’il souffrit, l’obéissance, le moine par la profession se soumet au prieur qui représente Dieu, et s’efforce ainsi de laisser le Christ atteindre en lui sa pleine stature.