Extraits des statuts
- Ch. 1 Prologue
- Ch. 2 Éloge de la vie solitaire
- Livre 1 : Les moines du cloître
- Ch. 3 Les moines du cloître
- Ch. 4 La garde de la cellule et du silence
- Ch. 5 Les activités de cellule
- Ch. 6 La garde de la clôture
- Ch. 7 L’abstinence et le jeûne
- Ch. 8 Le novice
- Ch. 9 Le maître des novices
- Ch. 10 La profession
- Livre 2 : Les moines laïcs
- Ch. 11 Les moines laïcs
- Ch. 12 La solitude
- Ch. 13 La clôture
- Ch. 14 Le silence
- Ch. 15 Le travail
- Ch. 17 Le novice
- Ch. 18 La profession
- Ch. 19 La donation
- Ch. 20 La formation des frères
- Livre 3 : La communauté
- Ch. 21 La célébration quotidienne de la liturgie
- Ch. 22 La vie commune
- Ch. 23 Le prieur
- Ch. 26 Le procureur
- Ch. 27 Les malades
- Ch. 28 La pauvreté
- Ch. 29 L’administration temporelle
- Ch. 30 La stabilité
- Livre 4 : L’Ordre
- Ch. 31 Le gouvernement de l’Ordre
- Ch. 32 La Visite canonique
- Ch. 33 La conversion de vie
- Ch. 34 Fonction de notre Ordre dans l’Église
- Ch. 35 Les Statuts
- Livre 5 : Rites et actes de la vie cartusienne
- Ch. 36 Les rites de la vie cartusienne
- Ch. 38 L’élection du prieur
- Livre 6 : Les temps liturgiques
- Ch. 41 La liturgie cartusienne
- Ch. 52 Le chant liturgique
- Ch. 53 Les cérémonies de la communauté à l’Office
- Ch. 54 Les cérémonies de l’Office en cellule
- Livre 9 : Sacrements et suffrages
- Ch. 62 Les sacrements
- Ch. 65 Les suffrages
Livre 2 : Les moines laïcs
Chapitre 11
Depuis l’origine, notre Ordre, tel un corps dont les membres n’ont pas tous la même fonction, comprend des pères et des frères : les uns et les autres sont moines et participent à la même vocation, mais de manières diverses ; diversité grâce à laquelle la famille cartusienne remplit plus parfaitement sa fonction dans l’Église.
Les moines du cloître, dont nous venons de parler, vivent dans le secret de la cellule ; ils sont prêtres ou appelés à le devenir. Les moines laïcs, dont nous allons maintenant parler avec l’aide de Dieu, consacrent leur vie au service du Seigneur non seulement par la solitude, mais aussi, et plus que les pères, par le travail manuel. Aux premiers frères, que l’on appelait convers, s’est adjoint au cours des temps un autre groupe, celui des donnés : ils ne font pas de vœux mais, pour l’amour du Christ, se donnent à l’Ordre par un engagement réciproque. Puisqu’ils mènent la vie monastique, nous les appelons moines eux aussi.
Les premiers pères, dans notre Ordre, suivaient les traces des anciens moines qui s’étaient voués à la solitude et à la pauvreté spirituelle : tel fut aussi le propos de nos premiers frères, André et Guérin. Il faut donc que les convers et les donnés ne sortent pas des limites du désert, sauf en des cas rares et par nécessité, et qu’ils prennent grand soin de se tenir à l’écart des rumeurs du monde. Enfin, l’isolement de leurs cellules doit leur permettre, une fois entrés dans leur chambre et la porte close, de laisser dehors tout souci et toute préoccupation, et de prier en paix le Père dans le secret.
À l’imitation de la vie cachée de Jésus à Nazareth, les frères, aux moments où ils accomplissent les besognes journalières de la maison, louent le Seigneur dans ses œuvres, consacrent le monde à la gloire du Créateur et font concourir les choses de la nature au service de la vie contemplative ; durant les heures dédiées à la prière solitaire, et celles réservées à la divine liturgie, ils sont tout entiers disponibles pour Dieu seul. Leurs lieux de travail comme ceux où ils habitent doivent donc être aménagés de manière à favoriser le recueillement ; et tout en étant munis du nécessaire et de l’utile, ils auront l’aspect d’une vraie demeure de Dieu, non de locaux profanes.
L’amour du Seigneur, la prière, la ferveur pour la solitude et une même vocation de service lient les frères entre eux et les rassemblent dans l’unité sous la direction du procureur. Ils se montreront vrais disciples du Christ, de fait comme de nom, s’ils s’appliquent, dans une affection réciproque, à avoir même sentiment, à s’accepter les uns les autres et à se pardonner toute offense, afin de n’avoir qu’un cœur et qu’une âme.
Dans le cadre propre de leur solitude, les frères travaillent pour subvenir aux besoins matériels de la maison, qui leur sont spécialement confiés ; ils permettent ainsi aux moines du cloître de vaquer plus librement au silence de la cellule.
Pères et frères, disciples de Celui qui est venu non pour être servi mais pour servir, manifestent donc de manière variée les richesses de notre vie totalement consacrée à Dieu dans la solitude.
Dans l’unité d’un même corps, ces deux formes de vie ont des grâces différentes, mais elles sont complémentaires l’une de l’autre et se communiquent mutuellement des biens spirituels. Une telle harmonie permet au charisme confié par l’Esprit Saint à notre père saint Bruno d’atteindre sa plénitude.
Les pères savent, que par les ordres sacrés dont ils ont été marqués, ils ont reçu moins une dignité qu’une obligation de servir. De plus, le sacerdoce ministériel et le sacerdoce baptismal commun à tous sont ordonnés l’un à l’autre, et participent tous deux à l’unique sacerdoce du Christ. Que chacun donc poursuive droit sa course vers le terme unique de notre état, demeurant en la vocation où il a été appelé.
Le devoir du prieur à l’égard de tous ses fils, moines du cloître et moines laïcs, est d’être un signe vivant de l’amour envers eux du Père céleste ; de les unir aussi dans le Christ, en sorte qu’ils forment une seule famille et que, selon le mot de Guigues, chacune de nos maisons soit vraiment une église cartusienne.
Celle-ci s’enracine et trouve son assise dans la célébration du sacrifice eucharistique, signe efficace d’unité. Il est le centre et le sommet de notre vie, la manne de l’exode spirituel, qui, au désert, nous ramène vers le Père par le Christ. En toute la liturgie, c’est le Christ qui prie pour nous, comme notre Prêtre, et en nous, comme notre Chef.
C’est un chemin très sûr pour aller à Dieu que de marcher sur les traces de nos fondateurs : les frères prendront donc comme modèles les premiers convers de Chartreuse qui, avant toute règle écrite, ont donné à leur genre de vie sa forme et son esprit.
Pensant à ces premiers frères saint Bruno, le cœur plein d’allégresse, écrivait : À votre propos, mes bien aimés frères laïcs, je dis : mon âme glorifie le Seigneur, car je vois sa miséricorde sans mesure reposer sur vous. Je suis plein de joie car, bien que vous n’ayez pas la science des lettres, le Dieu tout-puissant écrit de son doigt en vos cœurs non seulement l’amour, mais aussi la connaissance de sa loi sainte. En effet vous montrez en acte ce que vous aimez et connaissez, lorsque vous pratiquez avec tout le soin et le zèle possibles la véritable obéissance. Celle-ci est l’accomplissement des vouloirs de Dieu, la clef et le sceau distinctif de la totale soumission à l’Esprit. Elle n’existe jamais sans une grande humilité et une patience insigne, et elle est toujours accompagnée d’un pur amour du Seigneur et d’une authentique charité. Il est par là évident que vous recueillez avec sagesse le fruit très savoureux et vital de ce que Dieu écrit en vous. Demeurez donc, mes frères, là où vous êtes parvenus.
Chapitre 12
Notre application principale et notre vocation sont de trouver Dieu dans le silence et la solitude. Là Dieu et son serviteur entretiennent de fréquents colloques, comme il se fait entre amis. Là, souvent l’âme fidèle s’unit au Verbe de Dieu, l’épouse à l’Époux, la terre au ciel, l’humain au divin. Mais longue est la route, arides et desséchés sont les chemins du pèlerinage vers la source d’eau vive.
Le frère doit veiller avec un soin attentif sur sa solitude extérieure que ne protège pas en général l’isolement du cloître ni la retraite de la cellule. Mais cette solitude extérieure restera sans fruit si en tout temps, même durant le travail, il ne sait pas tenir son esprit solitaire, évitant toutefois la contention.
Quand l’Office ne retient pas les frères à l’église, ni le travail dans les obédiences, ils reviennent toujours à la cellule comme à un port tranquille et sûr. Ils y demeurent en paix et autant que possible sans bruit, suivent fidèlement leur horaire et agissent toujours sous le regard de Dieu au nom du Seigneur Jésus Christ, rendant grâces par lui à Dieu le Père. En cellule ils s’occupent avec fruit à lire ou à méditer, principalement l’Écriture sainte, qui est la nourriture de l’âme ; ou bien ils s’appliquent à l’oraison autant qu’ils le peuvent. Ils se gardent de forger ou accepter des occasions de sortir, hormis celles que prévoit la règle, ou que suscite l’obéissance. La nature, en effet, voudrait parfois s’évader du silence de la solitude, et de la tranquillité spirituelle ; ce qui fait dire à saint Augustin : Aux amis du monde, il n’est pire labeur que de demeurer sans labeur. Les frères peuvent aussi se livrer quelquefois en cellule à de petits travaux, pour un bien spirituel, avec l’accord du procureur.
Le premier acte de charité envers nos frères est de respecter leur solitude. Si nous sommes autorisés à leur parler en cellule pour quelque affaire, évitons les paroles inutiles.
Après la sonnerie de l’Angélus du soir, il ne faut pas venir à la cellule du prieur ou du procureur à moins d’être appelé. À partir de ce moment seuls restent en compagnie des hôtes les frères qui sont à leur service. Lorsque quelqu’un est dans la cellule d’autrui, ou ailleurs hors de cellule, dès que sonne l’Angélus du soir il doit se retirer, sauf mandat spécial pour rester plus longtemps.
Chapitre 13
Nous avons quitté le monde pour toujours afin de nous tenir sans cesse en présence de la divine Majesté. Conscients de la fonction ainsi assumée, nous répugnons donc à sortir pour circuler dans les lieux habités. Mais une clôture aussi rigoureuse ne servirait de rien, si nous ne tendions par elle vers cette pureté du cœur à qui seule est promise la vision de Dieu. Pour y parvenir il faut un grand renoncement, surtout à l’égard de la curiosité naturelle que l’homme éprouve pour les affaires humaines. Ne laissons pas notre esprit courir le monde en quête de nouvelles et de nouveautés : notre part est au contraire de rester cachés dans le secret de la face de Dieu.
Lorsqu’un frère est envoyé dans le voisinage, il n’accepte de personne nourriture, boisson ou hospitalité à moins d’en avoir reçu l’ordre exprès, ou d’y être contraint par quelque nécessité inévitable et imprévue.
Le portier sera obligeant envers tous, il aura une attitude religieuse et évitera tout bavardage : c’est ainsi que son exemple sera bienfaisant pour les séculiers. S’il croit devoir faire entrer quelqu’un, ou au contraire l’éconduire avec douceur, il le fera aimablement, mais en peu de mots. Ces directives s’appliquent de même à ses remplaçants éventuels.
Rappelons-nous, d’autre part, que les séculiers n’attendent pas d’un chartreux qu’il leur parle de nouvelles futiles, ou de politique ; évitons donc les bavardages profanes, écrivant toujours sous le regard de Dieu et selon l’esprit du Christ.
Le précieux charisme du célibat est un don de Dieu qui libère le cœur de manière exceptionnelle et incite chacun de nous, captivé par le Christ, à se dépenser tout entier pour lui. Cette grâce ne laisse place ni à l’étroitesse de cœur ni à l’égoïsme, mais, en réponse à l’amour inexprimable que le Christ nous a manifesté, elle doit dilater notre âme dans l’amour, et lui faire entendre une invitation irrésistible à se sacrifier toujours plus complètement.
L’âme du solitaire sera donc comme un lac tranquille, dont les eaux jaillissent du fond le plus pur de l’esprit ; aucun bruit de l’extérieur ne vient les agiter, et, tel un miroir limpide, elles reflètent la seule image du Christ.
Chapitre 14
Dieu a mené son serviteur au désert pour parler à son cœur ; mais seul qui se tient à l’écoute dans le silence perçoit le souffle de la brise légère où le Seigneur se manifeste. Au commencement il faut un effort pour se taire ; mais si nous y sommes fidèles, peu à peu, de notre silence même naît quelque chose en nous qui nous attire à plus de silence.
Il n’est donc pas permis à chacun de parler à sa guise de ce qui lui plaît, à qui lui plaît, ni tant qu’il veut. Les frères peuvent parler de ce qui est utile à leur travail, mais en quelques mots brefs et sans hausser la voix. Hors ces cas, il faut une permission pour parler aux autres moines ou aux étrangers.
La garde du silence étant d’une importance primordiale dans la vie des frères, ils doivent observer ces règles avec grand soin. Cependant, dans les cas douteux, non prévus par les Statuts, chacun jugera avec sagesse, selon sa conscience et selon les besoins, s’il lui est permis de parler et dans quelle mesure.
Les frères, quand ils seront autorisés à parler, modéreront le nombre et l’étendue de leurs paroles, par respect pour le Saint Esprit qui habite en eux et par charité pour leurs compagnons. On peut croire en effet qu’une conversation prolongée inutilement contriste davantage l’Esprit et cause plus de dissipation que peu de mots, dits sans permission mais vite interrompus. Souvent une conversation utile en ses débuts devient rapidement inutile et finit par être coupable.
Les dimanches, solennités et jours de retraite, ils observent un silence plus strict, et gardent davantage la cellule. Tous les jours, entre l’Angélus du soir et Prime, un silence absolu doit régner dans toute la maison et nous ne pouvons le rompre que pour une nécessité vraiment urgente. Car la nuit, d’après les exemples de l’Écriture et le sentiment des anciens moines, est spécialement favorable au recueillement et à la rencontre de Dieu.
Les frères ne se permettront pas non plus de parler ou bavarder sans permission avec les séculiers : si quelqu’un les croise ou les aborde, ils lui rendront son salut, répondront brièvement à ses questions, et s’excuseront de ne pas avoir permission de lui parler davantage.
La garde du silence et le recueillement spirituel demandent une vigilance particulière aux frères qui ont maintes occasions de parler. Ils ne seront parfaits sur ce point que s’ils s’efforcent de vivre en présence de Dieu.
Chapitre 15
Aux heures prévues les frères travaillent ; tandis qu’ils subviennent aux besoins de la maison, par ce travail accompli en compagnie de Jésus, le fils du charpentier, ils font concourir toute la création à la louange de la gloire de Dieu, et ils glorifient le Père en faisant participer l’homme tout entier à l’œuvre de la rédemption. Dans la sueur et la peine du travail ils retrouvent effectivement une petite part de la croix du Christ, et ils deviennent ainsi, grâce à la lumière de la résurrection, participants des cieux nouveaux et de la terre nouvelle.
La tradition monastique ancienne tient le travail pour un moyen très efficace de progresser par la pratique des vertus vers la charité parfaite. Par l’équilibre qu’il assure entre l’homme extérieur et l’homme intérieur, le travail aide le frère à retirer plus de fruit de la solitude.
Pour la marche des obédiences et pour tout ce qu’ils ont à leur usage, les frères se conforment aux dispositions du prieur et du procureur, mettant en œuvre leurs aptitudes naturelles et les dons de la grâce dans l’accomplissement des tâches qui leur sont confiées. L’obéissance, ainsi, dilate leur liberté d’enfants de Dieu, et par cette soumission volontaire, ils concourent à l’édification du Corps du Christ selon le plan divin.
Le procureur, à l’égard de tous les frères, et le chef d’obédience à l’égard de son aide, exerceront leur autorité en esprit de service, de manière à manifester à ceux qui dépendent d’eux l’amour dont Dieu les aime. Ils les consulteront ou les écouteront volontiers, en conservant toutefois le pouvoir de décider et de donner des ordres. Ainsi tous les frères prendront part à la tâche commune en obéissant avec initiative et avec amour.
Unis au Christ Jésus, devenu pauvre pour nous alors qu’il était riche, les frères travaillent toujours en esprit de pauvreté. Ils évitent tout gaspillage, et veillent à ne pas perdre d’outils ; ils entretiennent avec soin le matériel, surtout les machines.
L’infirmier, le cuisinier et tous ceux qui ont à pourvoir aux besoins spéciaux des malades, entoureront d’affection ceux qui sont ainsi éprouvés ; ils reconnaîtront en eux l’image du Christ souffrant, heureux de pouvoir, en leur personne, servir et soulager notre Seigneur.
La vie du frère est tout entière faite pour l’unir au Christ, afin qu’il demeure en son amour. Dans la solitude de la cellule comme au travail, il mettra donc tout son cœur, aidé par la grâce de sa vocation, à conserver la présence de Dieu.
Chapitre 17
Ceux qui, brûlant d’amour divin, en quête d’éternel, aspirent à quitter le monde, doivent à leur arrivée chez nous se sentir accueillis par le même esprit. Il est donc très important que les novices trouvent dans les maisons destinées à leur formation l’exemple de l’observance régulière, de la piété, de la solitude et du silence, comme aussi de la charité fraternelle. Faute de quoi, il serait vain d’espérer les voir persévérer dans notre vocation.
Les candidats qui se présentent doivent être examinés avec soin et prudence, selon l’avertissement de saint Jean : Éprouvez les esprits pour voir s’ils viennent de Dieu. Il est certain en effet que l’Ordre progressera ou déclinera, en qualité comme en nombre, selon que les novices seront bien ou mal sélectionnés et formés.
Les prieurs doivent s’informer soigneusement de leur famille, leur vie passée, leurs aptitudes physiques et psychiques : il sera bon de consulter à ce propos des médecins prudents, connaissant bien notre vocation. Parmi les qualités requises d’un candidat à la vie solitaire, l’équilibre et le jugement viennent en effet au premier rang.
Nous n’avons pas coutume de recevoir des novices avant l’âge de vingt ans ; et seuls parmi les candidats doivent être reçus ceux que le prieur et la majorité de la communauté auront estimés suffisamment religieux, mûrs et robustes pour soutenir le poids de l’observance ; aptes, certes, à la solitude, mais aussi à la vie commune.
Pour l’admission de personnes déjà âgées une plus grande réserve s’impose, car elles s’adaptent plus difficilement à nos observances et à notre genre de vie. Nul ne devra être reçu à l’état de convers après quarante-cinq ans révolus sans l’autorisation expresse du Chapitre Général ou du Révérend Père. Cette permission est également requise pour admettre au noviciat un religieux qui est lié par les vœux dans un autre institut ; s’il s’agit d’un profès de vœux perpétuels, le Révérend Père doit obtenir le consentement du Conseil Général. Pour l’admission d’une personne ayant déjà été liée par les vœux dans un institut religieux, il est conseillé de demander l’avis du Révérend Père.
Lorsque se présente un candidat à l’état de frère, on doit veiller à ce qu’il soit libre de tout empêchement de droit, guidé par une intention pure et capable de porter le poids de l’observance. Aussi l’interroge-t-on avec soin sur tous les points nécessaires ou utiles à connaître pour porter un jugement sur son admission.
On expose alors au candidat le but de notre vie, la gloire que nous espérons rendre à Dieu en participant à la rédemption, le bonheur de tout quitter pour suivre le Christ. Mais on lui présente également des perspectives dures et austères ; on met sous son regard, autant qu’il est possible, tous les aspects de la vie qu’il désire embrasser. S’il n’est point ébranlé et s’engage résolument à suivre une route difficile par foi en la parole du Seigneur, décidé à mourir avec le Christ pour vivre avec Lui, alors, conformément à l’Évangile, on l’invite à se réconcilier avec quiconque aurait un reproche à lui faire.
Si l’aspirant, après être demeuré quelques jours parmi nous, paraît au prieur apte à être admis, il reçoit le manteau de postulant de la main du maître des novices. On l’exerce dans divers travaux et obédiences et on le fait venir au chœur, afin de le familiariser le plus rapidement possible avec sa nouvelle vie. Avant de commencer son noviciat, il doit demeurer postulant dans la maison durant un temps compris entre trois mois et un an.
Si le postulant se montre humble, obéissant, chaste, digne de confiance, religieux, équilibré, apte à la solitude, et courageux au travail, on pourra alors le présenter à la communauté, y compris les donnés perpétuels. Cette présentation sera faite par le vicaire, le procureur et le maître des novices ; ils devront exposer les qualités et défauts du postulant avec clarté et exactitude. Si toute la communauté ou la plus grande partie le juge apte à être reçu, il appartient au prieur de l’admettre dans notre famille cartusienne sous l’habit monastique ; auparavant le postulant devra faire une retraite d’au moins quatre jours.
Puisque le novice veut tout quitter pour suivre le Christ, il remet au prieur l’argent et les autres choses qu’il a apportés avec lui ; le prieur ou le moine désigné par lui en aura la garde. Pour nous, nous ne demandons absolument rien à ceux qui veulent entrer dans l’Ordre, ni aux novices.
Le noviciat de moine laïc n’est pas valable pour devenir moine du cloître, ni réciproquement.
Le noviciat dure deux ans ; il peut être prolongé par le prieur, mais pas plus de six mois. Au plus tard avant la seconde année, le candidat choisira entre la voie de convers et celle de donné ; il prendra cette décision lui-même en toute liberté.
Le candidat venant d’un autre institut religieux et lié par des vœux perpétuels accomplit le postulat comme il est dit plus haut, puis s’il est apte, il est admis au noviciat de convers. Il demeure cinq ans novice avant d’être admis à la profession solennelle.
Pour l’admettre au noviciat on procède comme il est dit plus haut ; on fait de même deux ans plus tard, puis à nouveau deux ans après, enfin avant la profession solennelle.
Si un novice donné de deuxième année, ou un donné, passe à l’état de convers, il appartient au prieur de préciser les étapes de la formation, en sorte que celle-ci s’étende sur sept ans et trois mois au minimum et que les règles du droit soient respectées. On procédera de manière analogue pour le passage d’un convers, novice ou profès de vœux temporaires, à l’état de donné.
Le novice ne se laissera pas écraser par les tentations : elles sont la part de qui accompagne le Christ au désert ; il se défiera de ses propres forces, mais mettra sa confiance dans le Seigneur ; c’est lui qui a fait naître sa vocation, il mènera à bien l’œuvre commencée.
Chapitre 18
Mort au péché et consacré à Dieu par le baptême, le moine, par la profession, est voué plus totalement au Père céleste ; affranchi des liens du monde, il pourra désormais tendre à la plénitude de la charité par un chemin plus direct. Le pacte ferme et stable qui le lie au Seigneur lui donne part au mystère de l’union indissoluble du Christ et de l’Église ; devant le monde, il rend témoignage de la vie nouvelle que le Christ nous a acquise par son sacrifice rédempteur.
Si le noviciat s’est accompli de manière satisfaisante, le novice convers est présenté à la communauté. Il se prosterne au chapitre, demande miséricorde et prie d’être admis, pour l’amour de Dieu, à faire la première profession et à porter l’habit de profès comme le plus humble serviteur de tous. Quelques jours plus tard on procède comme il est dit plus haut.
Le frère fait une retraite de huit jours au moins, puis au jour fixé, il renouvelle sa demande au chapitre en présence de la communauté. Alors le prieur appelle son attention sur la stabilité, l’obéissance, la conversion des mœurs, et les autres obligations de l’état de convers. Le frère émet sa profession pour trois ans à l’église de la manière indiquée plus loin. On doit être extrêmement attentif à ce que le frère émette ses vœux par une décision mûrement réfléchie, et s’engage dans une absolue liberté.
Au terme des trois années, il revient au prieur, après un vote de la communauté, d’admettre le jeune profès au renouvellement de sa profession temporaire pour deux ans.
Il appartient au prieur d’admettre les profès temporaires aux vœux solennels, après un vote des profès perpétuels et avec l’autorisation du Révérend Père. Pour cette profession le frère devra, comme pour la profession temporaire, présenter deux fois sa demande au chapitre.
Au disciple qui suit le Christ il est demandé de renoncer à tout et à soi-même : avant les vœux solennels, le futur profès doit donc se dépouiller de tous ses biens actuels. Il peut aussi disposer alors des biens futurs auxquels il a droit. Personne dans l’Ordre ne doit rien lui demander de ce qu’il a, pas même à l’intention d’œuvres pieuses ou d’aumônes destinées à qui que ce soit. Au contraire il faut laisser le jeune profès disposer de tout librement et à son gré.
Au jour fixé le moine émet sa profession au cours de la Messe conventuelle, après l’évangile ou le Credo. Alors le don de lui-même, qu’il entend unir à celui du Christ, se trouve, par le ministère du prieur, agréé de Dieu et consacré par Lui.
Le futur profès écrira lui-même sa profession, en langue vernaculaire, sous la forme suivante : Moi, frère N. je promets … obéissance, conversion de mes mœurs et persévérance dans cet ermitage, devant Dieu et ses saints, et les reliques de cet ermitage, édifié à la gloire de Dieu et à l’honneur de la bienheureuse Marie toujours Vierge et de saint Jean Baptiste, en présence de Dom N., prieur.
Après je promets, s’il s’agit de la profession temporaire, on indique la durée de l’engagement ; s’il s’agit de la profession solennelle, on dit pour toujours.
Il est à noter que tous nos ermitages sont en premier lieu dédiés à la bienheureuse Vierge Marie et à saint Jean Baptiste, nos principaux patrons au ciel.
La cédule de toute profession doit être signée par le profès et le prieur qui a reçu les vœux, et porter l’indication du jour et de l’année. On la conserve dans les archives de la maison.
Toute personne de l’Ordre reste définitivement professe de la maison où elle a émis ses premiers vœux à l’issue du noviciat, même si par la suite elle est envoyée dans une autre maison et y fait la profession solennelle.
Celui qui vient de faire profession doit savoir qu’il ne peut désormais plus rien avoir à soi sans la permission du prieur, fût-ce le bâton sur lequel il s’appuie, puisque lui-même ne s’appartient plus. Tous ceux qui ont décidé de vivre sous une règle ont à garder l’obéissance avec grande application ; mais nous devons y mettre d’autant plus de piété et de soin que nous nous sommes soumis à un propos plus rigoureux et plus austère : si en effet, par malheur, l’obéissance venait à manquer, tous ces efforts demeureraient sans fruit. D’où la parole de Samuel : Mieux vaut l’obéissance que les victimes ; se soumettre a plus de prix qu’offrir la graisse des béliers.
Chapitre 19
Dans la maison de Dieu, nombreuses sont les demeures : comme il y a parmi nous des moines du cloître et des convers, il y a également des donnés : eux aussi ont quitté le monde et ont rejoint la solitude de la Chartreuse pour consacrer toute leur vie au Seigneur dans la prière et le travail, sous la protection d’une clôture. Il est arrivé maintes fois, en effet, que des hommes vraiment saints choisissent de vivre et de mourir dans l’état de donnés, pour être comptés au nombre des fils de saint Bruno et bénéficier de son héritage de grâces.
Si le noviciat s’est accompli de manière satisfaisante, le novice donné est admis par le prieur à faire sa donation temporaire, après un vote des profès de vœux solennels et des donnés perpétuels.
Le jour de la donation temporaire ou perpétuelle, le futur donné, qui aura fait auparavant une retraite d’au moins quatre jours, prononcera sa donation avant les Vêpres, en présence de toute la communauté réunie. La donation doit être écrite en langue vernaculaire, dans les termes suivants : Moi, frère N., pour l’amour de notre Seigneur Jésus Christ et le salut de mon âme, afin de concourir à la croissance de l’Église, je m’engage à servir Dieu fidèlement comme donné, dans l’obéissance et la chasteté, sans rien avoir en propre. C’est pourquoi je me donne … à cette maison par un engagement réciproque ; je veux la servir en tout temps en me soumettant à la discipline de l’Ordre selon la teneur des Statuts.
Après les mots je me donne, s’il s’agit de la donation temporaire, on ajoute pour trois ans ; en cas de prorogation, on en indique la durée ; s’il s’agit de la donation perpétuelle on ajoute pour toujours.
Bien que le donné vive sans avoir rien en propre, il conserve la propriété et la disposition de ses biens. Toutefois avant la donation perpétuelle, on ne pourra rien en aliéner, et le donné, même s’il le voulait, ne pourrait être autorisé à les aliéner.
Une fois la donation faite, le donné est membre de l’Ordre ; il se trouve lié à celui-ci désormais, et les supérieurs, en cas de nécessité, peuvent l’envoyer dans n’importe laquelle de nos maisons. Mais l’Ordre ne peut le congédier, sauf manquement grave à l’une de ses obligations : en ce cas le prieur aurait pouvoir, avec le consentement du conseil, d’annuler la donation. Lorsque le contrat de donation est rompu, un document faisant foi de cette rupture doit être signé par les deux parties, c’est-à-dire par le prieur au nom de la communauté et par le donné.
Au terme de trois années de donation temporaire, il appartient au prieur, après un vote de la communauté y compris les donnés perpétuels, d’admettre le candidat à renouveler sa donation pour deux ans. Cependant le prieur peut prolonger le temps de la donation temporaire, mais non au-delà d’un an.
À la fin du temps de probation, il appartient au prieur, après un vote de la communauté y compris les donnés perpétuels, d’admettre le frère soit à faire sa donation perpétuelle, soit à entrer dans le régime du renouvellement triennal de sa donation ; dans ce deuxième cas, il n’y a pas de vote pour les renouvellements ultérieurs. Le consentement du Révérend Père est en outre requis pour l’admission à la donation perpétuelle.
Les donnés sont des moines dotés de coutumes propres pour l’Office et les autres observances. Ces coutumes peuvent être adaptées aux besoins de chacun et lui permettre de vivre, selon sa voie personnelle, notre vocation : l’union à Dieu dans la solitude et le silence. Les donnés assumeront cette liberté ordonnée, non comme une facilité offerte à l’égoïsme, mais comme un service de la charité. Les donnés se dévouent donc pour le Seigneur d’une autre manière que les convers ; mais leur offrande à Dieu n’en est pas moins vraie, ni moins ardent leur désir de sainteté. Ils apportent enfin une aide fort utile à la maison, quand il leur arrive de s’acquitter de tâches plus difficilement compatibles avec les observances des convers.
Chapitre 20
Les jeunes frères sont sous la conduite du maître des novices, qui doit toujours être un père revêtu du sacerdoce. Il sera un homme religieux, ami du silence et de la contemplation, judicieux, prudent, animé d’une charité sincère, profondément épris de notre vocation ; il aura le sens de la diversité des caractères, et sera ouvert aux besoins des jeunes. Les convers restent sous sa conduite jusqu’à leur profession solennelle, les donnés jusqu’à leur donation perpétuelle ou leur entrée dans le régime du renouvellement triennal de la donation.
Le père maître forme les novices à une vie d’oraison, enracinée dans la foi et la charité, et alimentée à la source pure de la Parole de Dieu ; ils doivent apprendre à harmoniser cette vie de prière avec les éléments propres de leur vocation : solitude, silence, liturgie, travail. Le maître développe en eux la compréhension et l’amour de nos Statuts et des traditions de l’Ordre. Il cherche à les faire croître continuellement dans l’amour du Christ et de l’Église. Une fois par semaine, il leur donne une conférence d’au moins une demi-heure, où il enseigne surtout l’esprit de notre vocation et les observances de l’Ordre. On donne plus de temps de cellule aux novices, pour leur permettre de mieux travailler à leur formation religieuse.
Le père maître visite les membres du noviciat et s’entretient très simplement avec eux en privé ; il apprend ainsi à mieux les connaître et leur donne des conseils adaptés à leurs besoins particuliers, en sorte que chacun puisse réaliser la plénitude de sa vocation.
Le procureur, en raison de sa charge, est en contact quotidien avec les frères ; il les formera ainsi, directement par son exemple, à la pratique des vertus et à la vie d’oraison. Cet enseignement, en effet, se communique par la vie plus que par les mots.
Dès le temps de la formation on évitera de surcharger les frères d’exercices communs ou de pratiques étrangères à notre Ordre ; on veillera plutôt à les initier à la vie d’oraison et au véritable esprit monastique.
Il appartient au prieur et au maître des novices de juger, en toute prudence et discrétion, l’aptitude des candidats ou des jeunes frères à embrasser notre vie. Pour devenir vraiment chartreux et ne l’être pas seulement de nom, le vouloir ne suffit pas : il faut, outre l’amour de la solitude et de notre vie, des aptitudes physiques et psychiques particulières. Recevoir ou garder trop longtemps un candidat manifestement dépourvu des qualités requises, serait l’acte d’une compassion fausse et même cruelle. Le maître mettra tout en œuvre pour que le novice choisisse sa voie en pleine liberté ; il se gardera d’exercer sur lui la moindre pression pour qu’il fasse la donation ou la profession.
Quatre fois par an, il rend compte devant le prieur et le conseil de l’état de chaque novice donné ou novice convers ; il répond également aux questions qu’on peut lui poser sur les autres membres du noviciat.
Les jeunes frères doivent toujours pouvoir rencontrer le maître des novices et s’entretenir avec lui, mais de leur propre mouvement et sans contrainte. Nous les invitons à exposer leurs difficultés au père maître en toute simplicité et confiance, et à le considérer comme l’homme choisi par la divine Providence pour les diriger et les aider. De même, tous les frères ont libre accès auprès du prieur : celui-ci, père commun, les accueillera toujours avec bonté ; il les visitera parfois en cellule, et aura pour tous, sans faire acception de personnes, la même sollicitude.
Les frères anciens, surtout les chefs d’obédience, ont un rôle actif à jouer dans la formation des jeunes frères qui travaillent avec eux, en leur offrant, au long des journées, l’exemple de la régularité, de la vertu et de la prière. Cependant ils s’abstiendront ordinairement d’engager des entretiens, même spirituels, car ils n’ont pas à se mêler des affaires de conscience des autres.
Pour que la vie spirituelle des frères repose sur des bases solides, ils recevront, au début de leur vie monastique, une formation doctrinale, à laquelle ils consacreront chaque jour un certain temps. Elle a pour but d’introduire le jeune frère aux richesses contenues dans la Parole de Dieu, et de lui permettre d’assimiler de manière personnelle les mystères de la foi ; en même temps il apprend à réfléchir sur des livres profonds pour en tirer profit. Dispenser cette formation engage la responsabilité du prieur, du père maître et du procureur, qui agiront d’un commun accord selon les directives du Chapitre Général.
La formation spirituelle et doctrinale des frères se poursuit durant toute leur vie. À cette fin, des pères désignés par le prieur pour aider le procureur donnent le dimanche une conférence à tous les frères. De la Toussaint à Pâques on y explique les Statuts, dont on lira chaque année, en présence des frères, les chapitres d’usage ; cette conférence, où on leur enseigne aussi les observances de l’Ordre, est confiée de préférence au procureur. De Pâques à la Toussaint est donnée une instruction doctrinale, spirituelle, biblique et liturgique, selon les directives du prieur ; cet enseignement sera profond, tout en étant à la portée des frères. Les deux formes d’instruction peuvent être réparties autrement, si cela semble opportun, mais sans réduire le temps attribué à l’une et à l’autre.
Ainsi les frères acquerront-ils un bien infiniment précieux : la connaissance de Jésus Christ. Mais ils doivent s’y disposer par une vie de prière silencieuse, cachée en Dieu avec le Christ. Car telle est la vie éternelle : connaître le Père, et celui qu’il a envoyé, le Christ Jésus.