Livre 3

Extraits des statuts

Ch. 1 Prologue
Ch. 2 Éloge de la vie solitaire
Livre 1 : Les moines du cloître
Ch. 3 Les moines du cloître
Ch. 4 La garde de la cellule et du silence
Ch. 5 Les activités de cellule
Ch. 6 La garde de la clôture
Ch. 7 L’abstinence et le jeûne
Ch. 8 Le novice
Ch. 9 Le maître des novices
Ch. 10 La profession
Livre 2 : Les moines laïcs
Ch. 11 Les moines laïcs
Ch. 12 La solitude
Ch. 13 La clôture
Ch. 14 Le silence
Ch. 15 Le travail
Ch. 17 Le novice
Ch. 18 La profession
Ch. 19 La donation
Ch. 20 La formation des frères
Livre 3 : La communauté
Ch. 21 La célébration quotidienne de la liturgie
Ch. 22 La vie commune
Ch. 23 Le prieur
Ch. 26 Le procureur
Ch. 27 Les malades
Ch. 28 La pauvreté
Ch. 29 L’administration temporelle
Ch. 30 La stabilité
Livre 4 : L’Ordre
Ch. 31 Le gouvernement de l’Ordre
Ch. 32 La Visite canonique
Ch. 33 La conversion de vie
Ch. 34 Fonction de notre Ordre dans l’Église
Ch. 35 Les Statuts
Livre 5 : Rites et actes de la vie cartusienne
Ch. 36 Les rites de la vie cartusienne
Ch. 38 L’élection du prieur
Livre 6 : Les temps liturgiques
Ch. 41 La liturgie cartusienne
Ch. 52 Le chant liturgique
Ch. 53 Les cérémonies de la communauté à l’Office
Ch. 54 Les cérémonies de l’Office en cellule
Livre 9 : Sacrements et suffrages
Ch. 62 Les sacrements
Ch. 65 Les suffrages

Livre 3 : La communauté

Chapitre 21


La célébration quotidienne de la liturgie«»

Après avoir décrit la vie du moine à l’écoute de Dieu en cellule ou dans le travail, nous allons maintenant parler, avec l’aide de Dieu, de la communauté. La grâce du Saint Esprit rassemble en effet les solitaires pour en faire une communion dans l’amour, à l’image de l’Église, une et répandue en tous lieux.

Notre père saint Bruno, en entrant au désert avec six compagnons, suivait les traces de ces anciens moines totalement consacrés au silence et à la pauvreté de l’esprit. Ce fut cependant la grâce propre de nos premiers pères d’introduire dans cette vie une liturgie quotidienne qui, tout en gardant l’austérité de la vocation érémitique, l’associait de manière expressive à l’hymne de louange que le Christ Souverain Prêtre a confié à son Église. Nous conservons cette liturgie propre, parce qu’elle est accordée à notre vie solitaire et contemplative.

Comme dans la synaxe des anciens moines, les temps forts de notre liturgie sont les vigiles de la nuit, auxquelles sont liées les louanges du matin, la célébration eucharistique conventuelle, et les louanges du soir. Pour ces Offices nous nous réunissons à l’église.

Lorsque nous nous rassemblons pour la sainte Eucharistie, l’unité de la famille cartusienne trouve sa consommation dans le Christ présent en prière. Cette commémoration du sacrifice du Seigneur réunit chaque jour tous les moines du cloître et ceux des moines laïcs qui le désirent.

D’autre part les moines prêtres, unis à l’Église entière, célèbrent une Eucharistie en solitude, où l’humble oblation de leur vie au désert est assumée dans celle du Christ pour la gloire de Dieu le Père.

Les jours plus marquants de la vie de communauté, les moines peuvent concélébrer, réunis en un seul presbytérium.

La prière de la nuit est celle où l’on monte une garde sainte et persévérante dans l’attente du retour du Maître, pour lui ouvrir dès qu’il frappera. Les louanges du soir sont célébrées au moment où le jour à son déclin invite l’âme au sabbat spirituel.

Les autres Heures canoniques de la liturgie sont habituellement récitées en cellule. Les dimanches et solennités, Tierce, Sexte et None sont chantées au chœur.

La vie solitaire est liberté de l’âme : la liturgie, lorsqu’elle est célébrée dans le secret de la cellule, en reçoit l’empreinte et s’harmonise ainsi plus profondément avec les aspirations de notre cœur, sans jamais cesser d’être un acte de la vie commune. Au son de la cloche, tous prient au même moment, faisant du monastère entier une seule louange à la gloire de Dieu.

Quand les moines célèbrent l’Office divin, ils sont la voix et le cœur de l’Église. C’est elle qui, par eux, présente au Père, dans le Christ, adoration, louange, supplication et humble demande de pardon pour les péchés. Cette fonction si importante, les moines s’en acquittent assurément par toute leur vie, mais d’une manière plus explicite et officielle dans la sainte liturgie.

Le moine médite sans relâche les saintes Écritures jusqu’à ce qu’elles deviennent comme une partie de lui-même. Quand, au cours de la liturgie, c’est l’Église elle-même qui nous les dispense, nous les recevons comme le pain du Christ.

La liturgie conventuelle est toujours chantée. Le chant grégorien qui nous est propre est un élément du patrimoine de notre Ordre que nous conservons depuis l’origine ; nous savons que ces mélodies sont porteuses d’intériorité et de sobriété spirituelle.

L’Office divin des moines du cloître est celui que décrivent nos livres liturgiques. La participation des moines laïcs à la sainte liturgie peut avoir lieu de différentes manières, mais elle est toujours prière publique de l’Église.

Outre l’Office divin, nos pères nous ont transmis l’Office de la bienheureuse Vierge Marie, dont chacune des Heures précède ordinairement l’Heure correspondante de l’Office divin. Par cette prière, nous célébrons l’éternelle nouveauté du mystère de Marie engendrant spirituellement le Christ dans nos cœurs.

Le Seigneur nous a appelés à être en sa présence représentants de toute la création. C’est donc notre devoir d’intercéder pour tous : pour nos frères, nos parents, nos bienfaiteurs, et pour tous les vivants et tous les défunts.

La liturgie de la réconciliation est une perpétuelle Pâque du Seigneur ; pécheurs en quête de sa Face, nous la célébrons fréquemment afin d’être chaque fois renouvelés par Lui. La qualité de notre vie de prière, en effet, est étroitement liée à une pratique personnelle, assidue et consciente du sacrement de Pénitence.

Notre vocation étant de demeurer sans cesse éveillés à la présence de Dieu, toute notre vie tend à se transformer en une liturgie ininterrompue. Celle-ci devient plus explicite à certains moments : quand nous offrons la prière officielle de l’Église, ou quand nous suivons l’inclination de notre cœur. Cette diversité n’est pas source de division, car c’est toujours le même Seigneur qui, exerçant en nous son sacerdoce, prie le Père dans l’unique Esprit.

Chapitre 22


La vie commune«»

En cellule ou dans les obédiences, tandis que nous menons la vie solitaire, notre cœur peut s’enflammer puis se dilater au feu de l’amour divin, et celui-ci, qui est le lien de la perfection, nous unit comme les membres d’un seul corps. Cet amour que nous avons les uns pour les autres, nous l’exprimons lors des réunions conventuelles : disant et manifestant notre joie d’être avec nos frères, nous renonçant de bon cœur pour eux.

La sainte liturgie est la part la plus noble de la vie de communauté, car c’est elle qui établit entre nous la communion la plus intime. Chaque jour, lorsque nous nous réunissons pour la célébrer, nous ne formons qu’un seul cœur pour nous présenter devant Dieu.

Le chapitre de la maison est un lieu particulièrement digne : autrefois chacun de nous y a été reçu comme le plus humble serviteur de tous ; il y reconnaît devant ses frères les fautes commises depuis lors ; nous y écoutons de saintes lectures, et, là aussi, nous délibérons sur les questions relatives au bien commun.

À l’occasion de certaines fêtes toute la communauté se réunit au chapitre pour écouter un sermon donné par le prieur, ou par le moine qu’il en aura chargé.

Les dimanches et jours de solennité (sauf Noël, Pâques, Pentecôte, et les solennités tombant en semaine durant le Carême) après None, nous nous rendons au chapitre pour y entendre lecture de l’Évangile ou des Statuts. Toutes les deux semaines, ou une fois par mois, selon l’usage des maisons, nous y reconnaissons publiquement nos fautes. Chacun peut librement confesser les manquements commis contre ses frères, contre les Statuts ou contre les principales exigences de notre vie au service de Dieu. Et comme la solitude du cœur ne peut être gardée que par le mur du silence, ceux qui auraient manqué au silence devront toujours le reconnaître et recevoir la pénitence publique en usage. Après l’accusation, le prieur peut donner des admonitions, s’il est à propos.

Tous les dimanches, à l’heure convenable, les frères se réunissent au chapitre ou ailleurs pour entendre la lecture et l’explication des Statuts ; ou bien, un père désigné par le prieur leur enseigne la doctrine chrétienne. Ils reconnaissent aussi leurs fautes, à moins qu’ils n’aient participé au chapitre avec les pères.

S’il faut délibérer sur une affaire, ou si le prieur désire consulter la communauté, les moines, à la demande du prieur, se réunissent au chapitre.

Les dimanches et solennités, nous déjeunons ensemble au réfectoire : ces jours-là, les réunions communes sont plus fréquentes et une place plus large est donnée au réconfort qu’apporte la vie de famille. Le réfectoire, où nous entrons après avoir célébré l’Office à l’église, évoque pour nous le repas dont le Christ fit un mystère sacré ; les tables sont bénites par le prêtre qui a célébré en communauté, et, tandis que le corps reçoit sa réfection, l’âme se nourrit d’une lecture spirituelle.

Aux pères est accordé un entretien commun après le chapitre de None ; aux frères qui le désirent le prieur peut accorder une récréation à chaque solennité. Chaque mois a lieu une récréation pour tous les frères ; ce jour-là, au gré du prieur, les pères et les frères peuvent avoir récréation commune, à laquelle les novices et jeunes profès peuvent également prendre part.

En récréation, souvenons-nous du conseil de l’Apôtre : Soyons joyeux, mettons-nous à l’unisson, gardons la paix, pour que le Dieu de paix et d’amour demeure avec nous. Comme la récréation est destinée à réunir toute la communauté, évitons de rester à l’écart ou de parler ailleurs qu’à l’endroit où se trouvent les autres, si ce n’est pour dire quelques mots.

Comme le dit saint Bruno, lorsque la rigueur de la discipline et les exercices spirituels deviennent pesants à notre esprit fragile, celui-ci trouve souvent dans le charme du désert et la beauté des champs un soulagement et un regain de vigueur. C’est pourquoi chaque semaine, excepté la semaine sainte, les pères sortent en spaciement. Les frères, eux, ont un spaciement par mois où chacun est libre de venir, à condition cependant d’y prendre part au moins trois ou quatre fois par an ; à ce spaciement, pères et frères peuvent, au jugement du prieur, faire route ensemble.

Selon une ancienne coutume de l’Ordre, chaque année est accordé un spaciement plus long, que les pères et les frères, ainsi que les novices et jeunes profès, peuvent faire ensemble si le prieur le juge opportun. Ce jour-là il est permis de dépasser les limites de spaciement fixées par le Chapitre Général. Nous pouvons emporter quelques provisions, mais nous observons la sobriété cartusienne, et nous mangeons à l’écart des étrangers. Le prieur peut concéder un second spaciement annuel du même genre, mais où l’on ne mange pas.

Nos spaciements doivent favoriser l’union des âmes et leur épanouissement surnaturel. Pour que chacun puisse s’entretenir tour à tour avec les autres, tous feront route en même temps et par le même chemin, à moins qu’un motif raisonnable ne conseille de former deux groupes, ou trois. Si l’on doit nécessairement passer par quelque village des environs, on se contentera de le traverser, en observant une grande réserve ; jamais on ne pénétrera dans les maisons des séculiers. On ne doit pas lier conversation avec des étrangers, ni distribuer des dons. Durant le trajet, on ne mange ni ne boit rien, sauf l’eau des sources rencontrées en chemin.

Nos conversations ont pour but d’entretenir l’affection mutuelle, et de nous aider à vivre en solitude. Évitons donc verbiage, cris ou rires malséants ; que nos propos demeurent religieux, non pas vains et séculiers ; ayons horreur de la moindre forme de détraction ou de murmure. S’il nous arrive de ne pas être d’accord avec un frère, sachons l’écouter et faisons effort pour comprendre son point de vue, afin qu’en tous cas se resserrent entre nous les liens de la charité.

Trois fois par an les pères font des œuvres communes, laissées à la discrétion du prieur qui peut même les supprimer. Voici en quoi elles consistent : entre None et Vêpres, ils travaillent ensemble, gardant le silence selon les normes données au chapitre 5 n° 6 ; ces travaux peuvent durer trois jours. Outre les services à rendre au sacristain, le prieur peut commander un travail qui aidera les frères : alors les pères seront heureux de cette occasion de participer au service de ces derniers. La semaine des œuvres communes, chaque père est libre de venir ou non au spaciement.

Une fois par mois, les pères qui le désirent peuvent, avec le consentement du prieur, travailler ensemble durant le temps du spaciement, de la même manière qu’aux œuvres communes, mais avec permission de parler.

Chapitre 23


Le prieur«»

L’élection du prieur

Toute maison de l’Ordre où se trouvent au moins six profès aptes à être électeurs peut élire son prieur. L’élection doit se faire dans un délai de quarante jours ; une fois ce délai expiré, le Révérend Père ou le Chapitre Général nomme le nouveau prieur.

Le prieur au service de ses frères

Le prieur, à l’exemple du Christ, est parmi ses frères comme celui qui sert ; il les conduit selon l’esprit de l’Évangile et selon la tradition de l’Ordre, qu’il a lui-même reçue. Il s’efforce d’être utile à tous par sa parole et par sa vie. Il sera en particulier pour les moines du cloître, dont il est issu, un exemple de paix contemplative, de stabilité, de solitude et de fidélité aux observances de leur vocation.

En tous lieux, ses vêtements, comme son siège, ne se distinguent par aucune marque de dignité ou de luxe ; il ne porte rien d’où paraisse qu’il est le prieur.

Le prieur, qui est dans le monastère le père commun, doit montrer à tous, frères et pères, la même sollicitude. Il leur rendra visite, de temps à autre, en cellule et dans leurs obédiences. Si quelqu’un vient le voir, son accueil sera plein de charité ; chacun le trouvera toujours disposé à écouter. Il sera tel que ses moines, surtout dans l’épreuve, puissent recourir à lui, comme à un père au cœur très bon, et, s’ils le veulent, lui ouvrir leur âme spontanément et en toute liberté. Il ne cédera point à des vues humaines, mais s’efforcera avec ses moines d’être à l’écoute de l’Esprit dans une commune recherche de la volonté de Dieu, dont il a reçu mission d’être l’interprète pour ses frères.

Le prieur ne doit pas, pour se faire aimer, admettre un relâchement de la discipline régulière : ce ne serait pas garder son troupeau, mais le perdre. Qu’il gouverne au contraire ses moines en enfants de Dieu, cherchant à développer en eux une attitude de soumission volontaire qui les rende plus totalement conformes, dans leur solitude, au Christ obéissant.

Les moines, à leur tour, aimeront leur prieur dans le Christ et le respecteront, lui témoignant toujours une obéissance humble et déférente. Ils auront foi en lui qui, dans le Seigneur, a reçu charge de leurs âmes ; et puisque nous devons croire qu’il tient pour nous la place du Christ, ils abandonneront toute inquiétude entre ses mains. Loin d’être sages à leurs propres yeux et de se fier en leur jugement, ils tourneront leur cœur vers la vérité et écouteront les avertissements de leur père.

Les jeunes moines du cloître au début de leur séjour parmi les profès de vœux solennels, les convers aussitôt après leur profession perpétuelle, et les donnés qui viennent de quitter la direction du père maître, ne doivent pas être livrés à eux-mêmes et aux caprices de leur volonté propre : le prieur y veillera, car au témoignage de l’expérience, ces années sont décisives pour une vocation et tout l’avenir en dépend. Au cours d’entretiens très simples, il saura aider ces moines comme un père, et même comme un frère. Enfin il aura soin, autant que possible, de ne mettre personne en charge trop tôt après la fin des études, surtout s’il s’agit d’en faire un procureur.

Le prieur veillera à ce que le chapitre des frères soit tenu régulièrement. Il fera en outre donner aux frères, une fois par semaine, une conférence sur la doctrine chrétienne ou sur les Statuts. C’est là pour lui un devoir grave : il doit veiller avec soin à ce que les frères reçoivent une formation solide, et soient pourvus des livres qui peuvent les aider.

Sa sollicitude se fera spécialement attentive pour les malades, ceux qui souffrent de tentations ou d’autres peines : car il sait d’expérience combien parfois notre solitude peut être chargée d’épreuves.

Les livres étant l’aliment perpétuel de nos âmes, le prieur en procurera volontiers à ses moines. La nourriture qui leur convient est avant tout l’Écriture sainte, les Pères de l’Église, les auteurs monastiques éprouvés. Le prieur fournira aussi d’autres ouvrages solides, soigneusement choisis et adaptés aux besoins de chacun. En solitude nous ne lisons pas pour nous mettre au courant de toutes les idées nouvelles, mais pour nourrir notre foi dans la paix, et entretenir l’oraison. Le prieur pourrait aussi, en cas de besoin, interdire un ouvrage à ses moines.

Avant de traiter une question importante concernant l’obédience d’un officier, le prieur entendra celui-ci et s’efforcera de prendre la décision d’un commun accord avec lui. Les officiers accepteront toujours ses dispositions avec une déférence filiale. Lui aura l’affection d’un père pour apprendre à les connaître avec leurs difficultés, pour les aider, soutenir leur autorité devant tous, et au besoin les reprendre avec charité. Il évitera de paraître seulement préoccupé du bon ordre extérieur, mais obéissant lui-même à l’Esprit, il manifestera envers tous l’amour du Christ. Car la paix et la concorde dans la maison dépendent pour une grande part de l’unité de vues et de la communion existant entre les officiers et le prieur.

Dans sa maison le prieur ne doit pas indifféremment partager la table de tous les hôtes, mais seulement de ceux à qui ce ne pourrait guère être refusé, et même alors le plus rare sera le mieux.

Lorsque la vieillesse ou la maladie empêcheront un prieur de veiller sur son troupeau et de lui donner l’exemple de la vie régulière, il le reconnaîtra humblement, et sans attendre le Chapitre Général, il demandera miséricorde au Révérend Père. Nous engageons les définiteurs à ne pas maintenir en charge des prieurs accablés par l’âge ou les infirmités.

L’office du prieur exige une abnégation peu commune : il s’appliquera à lui-même les paroles de Guigues : Dieu t’a établi serviteur de tes fils. Ne cherche donc pas à leur faire faire ce qui te plaît, mais ce qui leur est bon. Ton devoir est de te prêter à leurs besoins et non de les plier à ton vouloir, car ils t’ont été confiés pour te placer, non au-dessus d’eux, mais à leur service.

Chapitre 26


Le procureur«»

Le prieur choisit parmi les profès de vœux solennels, pour lui confier les frères, un diligent procureur : c’est ainsi que nous l’appelons. À l’exemple de Marthe, il a beaucoup de soucis et d’ennuis, mais il ne doit pas pour cela abdiquer complètement, encore moins prendre en aversion, le silence et le repos de la cellule ; bien au contraire, pour autant que les affaires de la maison le permettent, il revient sans cesse à la cellule comme à un port tranquille et sûr où il puisse, par la lecture, la prière et la méditation, apaiser le tumulte intérieur provoqué par les soucis temporels et mettre dans le secret de son cœur quelques pensées salutaires, qu’il communiquera, avec sagesse et délicatesse, aux frères dont il a la charge.

Le procureur visite en tout temps les moines malades qui ont cessé de venir à l’église ; il fait preuve envers eux d’une bonté prévenante. Autrement, il ne visite pas les pères, et n’entre pas dans leur cellule sans permission, ni ne leur parle hors de cellule, à moins de les rencontrer au colloque permis par le président. Il peut cependant échanger quelques mots avec eux sur le pas de leur porte. Mais il doit avoir grand soin de ne pas répandre dans la maison les bruits du monde ; car son office consiste justement à permettre aux moines de vaquer librement au repos de la contemplation.

Le procureur a pour les frères une attention pleine de charité au sujet de leurs obédiences et de leur santé. Avant tout, qu’il leur donne l’exemple : car les actes entraînent plus que les paroles, et les frères prendront volontiers modèle sur le procureur si lui-même imite le Christ. Il mettra le plus grand soin à ne pas les surcharger de travail ; pour qu’ils disposent d’un temps de recueillement suffisant en cellule, la durée de leur travail ne doit pas normalement dépasser sept heures.

Chaque frère est responsable de son obédience ; son autorité légitime, dans les fonctions qui lui sont confiées, recevra l’appui du procureur. Celui-ci doit être consulté et ses décisions doivent être suivies ; mais, autant que possible, il laissera aux frères la liberté d’action nécessaire pour leur permettre de s’acquitter au mieux de leur tâche. S’il veut introduire un changement dans leur obédience, il ne le fera pas sans les avoir entendus ou au moins avertis.

Le procureur, comme les autres officiers de la maison, veillera à ne pas abuser de sa charge en s’accordant des dispenses ou des objets superflus qu’il ne voudrait pas accorder aux autres.

Le procureur prend soin des hôtes, les accueille à leur arrivée et leur rend visite. Pour leur faire honneur il peut s’absenter du réfectoire lorsque le prieur n’est pas là. Il ne partage cependant pas la table de tous sans distinction, mais seulement des personnes à qui ce ne pourrait guère être refusé, et même alors, le plus rarement sera le mieux. Hormis le procureur et, en l’absence du prieur, le vicaire, aucun moine ne doit être présent au repas des hôtes.

Lorsque le procureur quitte ses fonctions, il laisse tout souci et tout objet superflu, voulant suivre au désert le Christ nu.

Chapitre 27


Les malades«»

La maladie ou la vieillesse nous invitent à un nouvel acte de foi envers le Père, qui par ces épreuves nous rend plus conformes au Christ. Nous sommes alors associés de manière particulière à l’œuvre de la rédemption, et notre union avec tout le Corps mystique en devient plus intime.

Le prieur doit, à un titre spécial, témoigner une compassion pleine de prévenances aux malades, aux vieillards et à ceux qui sont dans l’épreuve. La même sollicitude est recommandée à tous ceux qui ont soin des malades. On procurera charitablement à ceux-ci, selon les moyens de la maison, tous les secours nécessaires ou utiles ; les services même les plus intimes qu’ils sont incapables de se rendre à eux-mêmes leur seront rendus humblement par d’autres, qui s’estimeront heureux d’avoir reçu un tel office. Les maladies nerveuses sont particulièrement lourdes à porter en solitude : on cherchera tous les moyens de soutenir ceux qui en souffriraient, les aidant à comprendre qu’ils peuvent rendre gloire à Dieu, s’ils s’oublient eux-mêmes et s’en remettent avec confiance à la volonté de celui qui est leur Père.

Pourtant, comme le dit saint Benoît, il faut rappeler aux malades de faire très attention à ne pas peiner leurs infirmiers par des demandes superflues, voire impossibles à satisfaire, ou peut-être par des murmures. Le souvenir de la vocation qu’ils ont embrassée leur fera voir que la différence entre eux et les gens du monde doit être aussi grande dans la maladie que dans la santé. À Dieu ne plaise que la maladie leur soit une occasion de repli sur soi, et qu’en vain Dieu soit venu les visiter.

Aux malades donc de méditer les souffrances du Christ, aux infirmiers, ses gestes de miséricorde. Les premiers en seront plus forts dans l’épreuve, les seconds plus disposés à y porter secours. Si tous se souviennent que c’est par amour du Christ, les uns qu’ils sont servis, les autres qu’ils servent, il n’y aura ni arrogance d’un côté, ni négligence de l’autre ; mais chacun attendra du même Seigneur le prix du devoir accompli, ici par la souffrance, là par la compassion.

Comme des pauvres du Christ nous nous contentons du médecin ordinaire de la maison, ou, s’il y a nécessité, d’un spécialiste des environs. Si un père a besoin de consulter un spécialiste en plus du médecin habituel, le prieur peut lui permettre de se rendre à l’une des villes proches désignées par les Visiteurs avec l’approbation du Chapitre Général ou du Révérend Père ; mais il devra être de retour le même jour. De même le prieur peut permettre l’hospitalisation de l’un de ses moines ; il convient cependant d’en informer le Révérend Père.

Nos malades, voués à la solitude, reçoivent autant que possible en cellule les soins dont ils ont besoin. S’il arrivait que des médecins encouragent les sorties ou indiquent des traitements contraires à notre propos, nous n’aurions pas à en tenir compte : nous seuls, en effet, répondrons devant Dieu de nos vœux. Gardons-nous aussi d’abuser des remèdes, au détriment de la perfection, de notre santé même, et du budget de la maison.

En toutes ces occasions confions-nous docilement à la volonté de Dieu, et n’oublions pas que l’épreuve de la maladie nous prépare aux joies de l’éternité. Disons alors avec le psalmiste : Je fus dans l’allégresse quand on me dit : nous irons à la maison du Seigneur.

Chapitre 28


La pauvreté«»

Le moine a choisi de suivre le Christ pauvre pour devenir riche de sa pauvreté. Sans appui terrestre, il compte sur Dieu, et son trésor est dans le ciel, où l’appelle aussi le désir de son cœur. À ses yeux, rien n’est à lui : il est donc toujours prêt à remettre de bon cœur entre les mains du prieur, lorsque celui-ci le demandera, tout ce qui est laissé à son usage.

Les profès de vœux solennels n’ont rien en propre, sauf ce dont l’Ordre leur accorde simplement l’usage. Ils ont aussi renoncé à rien demander, recevoir, donner ou aliéner sans permission. Même entre nous il faut une permission pour échanger ou recevoir quoi que ce soit.

Les profès de vœux temporaires et les donnés conservent la propriété de leurs biens et la capacité d’acquérir ; mais ils ne gardent point d’objets personnels avec eux, non plus que les novices. Le père maître inculquera surtout le détachement des biens et du confort matériels, et l’amour de la pauvreté.

Selon une parole de Guigues, si un parent ou un ami envoie un vêtement ou quelque autre cadeau à un moine, ce n’est pas à lui mais plutôt à un autre qu’on le donne, pour éviter l’apparence de propriété. Ainsi, nul ne se permettra de revendiquer un droit d’usage ou aucun autre privilège sur les livres ou sur tout autre bien acquis à l’Ordre grâce à lui. Au contraire, s’il se voit accorder la jouissance de tels objets, il la recevra avec reconnaissance, dans la conviction qu’ils ne lui appartiennent pas. Jamais cependant un moine ne doit avoir d’argent à sa libre disposition, ni en garder par-devers soi.

Puisque le Fils de l’homme n’a pas eu où reposer sa tête, gardons en nos cellules une simplicité et une pauvreté absolues. Ayons sans relâche le souci d’en éliminer tout superflu et toute recherche, recourant même volontiers à l’avis du prieur.

Dans nos vêtements évitons toute recherche et tout superflu qui seraient contraires à la simplicité et à la pauvreté. Nos pères n’avaient en ce domaine d’autre souci que de se garantir du froid et de se couvrir décemment ; à leur avis, pour les chartreux des tissus ou des objets d’usage courant très grossiers convenaient parfaitement. Conservons cet esprit, tout en veillant à ce que nos vêtements et notre cellule soient propres et décents.

Sauf en cas de maladie ou en voyage, notre couchage devra être conforme à l’austérité monastique.

Les instruments un peu coûteux sont permis seulement à ceux qui, au jugement du prieur, en ont vraiment besoin. L’usage d’instruments de musique ne s’accorde pas avec notre vocation, ni, non plus, les jeux de toute espèce. Cependant, pour apprendre notre chant, on peut admettre les appareils qui servent à guider la voix ou à l’enregistrer. Mais les postes de radio sont entièrement exclus de nos maisons.

Si grande est la variété des conditions locales que souvent le nécessaire en un lieu devient superflu ailleurs, et il n’est guère possible d’établir une loi valable partout et pour tous. Nous invitons plutôt les prieurs à subvenir de bonne grâce à tous les besoins réels de leurs religieux, selon les moyens de la maison. Qu’ils se laissent entraîner par la charité du Christ, et ils ne pourront souffrir de mériter un reproche sur ce point, surtout celui d’avoir, par une excessive parcimonie, poussé leurs moines dans le vice de propriété. En effet, plus notre pauvreté sera volontaire, et plus elle plaira au Seigneur. Ce qui est louable n’est pas d’être privé des facilités de la vie, mais de s’en priver.

Chapitre 29


L’administration temporelle«»

Les biens confiés au prieur ne sont pas les siens ou ceux des hommes ; ils appartiennent au Christ pauvre, et c’est à lui qu’il devra rendre compte de tout. Il revient donc au prieur de diriger ses officiers et leurs aides dans l’administration économique de la maison, et d’exercer une gestion prudente, devant Dieu, selon sa conscience, selon les principes de l’Ordre et les prescriptions des Statuts. Il aura soin d’éviter toute dépense injustifiée.

Quand un prieur entre en charge, le procureur lui présente un état des principaux biens meubles et immeubles de la maison. Ce document, contresigné par le prieur et les membres de son conseil, doit être conservé aux archives.

Pour la subsistance de leurs monastères, nos premiers pères ont décidé de ne pas compter sur les dons reçus occasionnellement, mais d’avoir, s’il plaît à Dieu, des revenus annuels stables. Il ne convenait pas, pensaient-ils, d’assumer en fonction de ressources incertaines des charges certaines, dont nous ne pourrions ni nous acquitter, ni nous dégager sans grand péril. De plus, courir le monde pour quêter leur faisait horreur.

Nous croyons cependant que de modestes ressources nous suffiront, avec l’aide de Dieu, si demeure vivante parmi nous l’inspiration originelle de notre vie, dans sa recherche de ce qui est humble, pauvre et sobre dans le vêtement, le vivre, et tout ce qui est à notre usage ; enfin, si chaque jour progressent le détachement du monde et l’amour de Dieu, pour lequel on doit tout faire et tout supporter. À nous s’adressent sans nul doute les paroles du Seigneur : N’ayez pas souci du lendemain, votre Père céleste sait que vous avez besoin de tout cela. Cherchez d’abord le royaume de Dieu et sa justice.

La maison a le droit de posséder le nécessaire pour permettre à la communauté de vivre conformément à notre vocation ; il lui faut cependant fuir toute forme de luxe, de gain immodéré ou de thésaurisation ; ainsi seulement rendrons-nous un témoignage de pauvreté authentique. Il ne suffit pas que les moines soient dépendants de leurs supérieurs dans l’usage des biens ; ils doivent, comme le Christ, être de vrais pauvres, dont le trésor est au ciel. Ce ne serait pas assez d’écarter le faste ; encore faut-il éviter les commodités excessives, pour que tout, dans nos maisons, respire la simplicité de notre vocation.

Nous aurons des bâtiments suffisants et adaptés à notre genre de vie, mais ils seront toujours très simples. Nos maisons, en effet, ne sont pas des monuments élevés à la vaine gloire ou à l’art, mais elles doivent témoigner de la pauvreté évangélique.

Nous adressons finalement à tous les prieurs de l’Ordre une prière instante. Au nom de Jésus Christ, notre Dieu et Sauveur, qui par amour pour nous s’est tout entier livré sur le bois de la croix, nous supplions chacun d’entre eux de mettre tout son cœur à faire d’abondantes aumônes selon les moyens de sa maison. Pensons que toute somme gaspillée ou retenue inconsidérément serait un vol commis au détriment des pauvres et des besoins de l’Église. Gardons ainsi aux biens de la terre leur destination commune et prenons pour modèles les premiers chrétiens, parmi lesquels nul ne prétendait avoir rien en propre, car tout leur était commun.

Chapitre 30


La stabilité«»

Le moine ne s’offre à Dieu en oblation parfaite que s’il persévère toute sa vie dans son propos : tel est l’engagement qu’il prend, en toute liberté, par la profession solennelle. Celle-ci étant un acte irrévocable, avant de l’accomplir il s’assiéra d’abord et s’interrogera lui-même : est-il bien décidé à se donner à Dieu pour toujours ?

Par la profession, le moine prend place dans la communauté, comme dans la famille que Dieu lui donne ; il devra, de corps et d’esprit, s’y établir à demeure.

Que chacun donc, une fois consacré à Dieu dans l’état de père ou celui de frère, reste fidèle à la vocation qu’il a reçue, et s’efforce d’y croître en perfection, pour la plus grande sainteté de l’Église et la plus grande gloire de la Trinité une et indivisible.

Les moines ne se persuaderont pas aisément qu’ils ont des motifs valables pour demander aux supérieurs leur transfert dans une autre maison. Le mirage d’une nouvelle ambiance et l’attrait du changement en ont trompé beaucoup ; et il ne convient pas à un moine d’attacher tant d’importance au climat, à la nourriture, au caractère des personnes, ni aux autres particularités de ce genre.

La patience et la persévérance dans les circonstances voulues par Dieu, nous le savons, favorisent grandement la contemplation. Il est impossible à l’homme de fixer son attention sur un même objet, s’il n’a pas au préalable fixé son corps avec persévérance en un lieu déterminé ; et l’esprit doit se tenir irrévocablement à son propos, s’il veut approcher Celui en qui il n’y a ni changement, ni l’ombre d’une variation.